C'est dans les villes d'eaux qu'en cette fin XIXème, l'architecture éclectique/historiciste connait un nouvel âge d'or accompagnant la mode des bains thermaux, remise au goût du jour depuis l'époque du Second Empire et favorisée par le développement du transport ferroviaire : liaisons directes pour Bagnères-de-Bigorre, Capvern–les-Bains et Argelès-Gazost, liaisons assurées par les tramway du PCL pour Cauterets et Luz-St Sauveur à partir de la gare de Pierrefitte ; ajoutons à cela la réalisation de la route thermale qui permet le passage d'une vallée à l'autre grâce à l'ouverture des cols (Soulor, Tourmalet, Aspin, Peyresourde).

Du néo classicisme un peu solennel utilisé le plus souvent pour les thermes au pittoresque des chalets ou villas de villégiature toute une gamme de références historicistes ou régionalistes sont présentes dans ces ensembles urbains qui sont aménagés ou remodelés dans les deux dernières décennies du XIXème siècle.

LES NOUVEAUX LIEUX DE LA SOCIABILITE BOURGEOISE


LES THERMES


En ce qui concerne la reconstruction, la rénovation et l'extension des thermes ou bains existants, la référence reste principalement le style néo classique ou néo palladien, référence explicite aux thermes romains.

Dans notre département, si dans un premier temps sont rénovés ceux de Bagnères (1823-28) de Cauterets (Thermes de César, 1838-44, Artigala archi.) et de St Sauveur (Artigala),
une 2ème phase a lieu autour des années 1880 :
Extension des thermes de Capvern en 1878 (archi Prosper) Construction des nouveaux Thermes d'Argelès (1885) (ceux-ci sont les plus proches du dispositif et de l'aspect des établissements «à la romaine») Les néo thermes de Bagnères inclus dans le nouveau complexe du casino (1886-88, architecte Denise) (voir ci-dessous).

LES CASINOS


Le centre de la vie mondaine est avant tout le casino dont la conception est proche de ce que nous appellerions aujourd'hui un « complexe de loisirs », car, outre les salles destinées aux jeux d'argent, ces établissements comportent en général restaurants, salon de thé, salle de spectacles… Si celui de Cauterets (1869, archi Charles Durand) arbore une façade très classique et relativement sobre,

BAGNERES


Celui de BAGNERES combine casino et piscine thermale dans un style éclectique plus affirmé.
Après la rénovation/reconstruction des anciens thermes, menée à bien de 1823 à 1828 selon un parti très néo classique, se pose dès les années 1860 la question de l'édification de nouveaux thermes dans le cadre d'un aménagement plus global de l'ensemble du quartier thermal. Plusieurs projets se succèdent dont ceux de Paul Abadie (1875) et de Viollet-Le-Duc (1878) qui recommande l'architecte parisien Darcy; c'est finalement celui de l'architecte Denise, parisien lui aussi, qui est retenu en 1880, les travaux s'effectuant de 1886 à 1888.

une architecture éclectique au service de la vie mondaine

On a donc fait le choix d'un bâtiment unique regroupant casino et piscine thermale. La partie casino/salons/restaurant, lieu par excellence de la vie mondaine adopte un style néo classique à la française (inspiré de l'architecture du grand Siècle), agrémentée de deux clochetons à bulbe de style orientalisant
le théâtre présente lui un décor baroque assez lourd dominé par une double colonnade
tandis que la piscine est couverte par une élégante structure métallique qui préfigure l'Art Nouveau
cette juxtaposition de styles et de matériaux empruntés à diverses époques et réunis dans une seule composition illustre tout à fait la démarche éclectique enseignée à l'Ecole des Beaux Arts en cette fin du XIXème siècle.

LES THEATRES


Si comme nous venons de le voir, le théâtre de Bagnères est intégré au casino, à Cauterets une salle de spectacle autonome est aménagée à proximité des deux grands hôtels édifiés au cœur du nouveau quartier (hôtels d'Angleterre et Continental, voir ci-après in « les grands hôtels ») : cet édifice connu sous le nom de « casino-club » regroupait à la fois un théâtre et des salles de jeux très fréquentés jusqu'à la guerre de 14 ; tombé en désuétude au cours des années 50, il est aujourd'hui transformé en immeuble résidentiel (Résidence Le Lys).Il présente une façade ordonnancée d'inspiration classique « Grand Siècle » tout comme les hôtels voisins, avec un décor dominé par quatre sculptures représentant des muses qui encadrent les deux entrées tandis qu'une frise rythmée par des masques de scène court à la jonction du premier et deuxième niveaux.

TARBES


Par ailleurs, Tarbes, à la fois ville la plus importante et chef-lieu du département, se devait d'avoir aussi un édifice de prestige susceptible d'accueillir la vie mondaine de la haute société locale ; ce sera le cas avec la construction du THEATRE DES NOUVEAUTES à proximité immédiate du nouveau marché couvert (halles Brauhauban).

historique:
Construit selon les plans de Gustave Labat, le théâtre est inauguré l4 février 1886; hélas quelques mois plus tard (en juin) l'établissement est déclaré en faillite par ses premiers propriétaires. Un siècle de vicissitudes quasi romanesques (tantôt casino/salle de spectacles divers puis maison des Oeuvres Catholiques du diocèse, puis cinéma «Impérial»notamment spécialisé dans les films X sur la fin dans les années 1970...) conduisent à son rachat par la ville de Tarbes en 1980.

De considérables travaux de rénovation conduits par le cabinet d'architecture GCAU permettent sa réouverture comme «Théâtre Municipal» en 1983; enfin, une remise à niveau technique accompagnée d'un remodelage du parterre et des balcons (pour augmenter la jauge spectateurs) et d'une rénovation de l'ensemble du décor a été menée en 2011 ( elle s'est terminée en 2012 par le foyer).

Description :
A l'extérieur, l'architecture est proche du modèle parisien des nouveaux théâtres construits depuis le Second Empire (Théâtres du Chatelet et de la Ville de Gabriel Davioud, 1862, qui se font face de part et d'autre de la Place du Chatelet) :
  • une ordonnance générale d'inspiration très classique dont les deux niveaux principaux sont soulignés et unifiés par des corniches courant sur les deux façades sur rue. Les trois travées centrales de la façade sur la rue Larrey, en légère avancée forment une sorte d'avant-corps qui donne son assise et son équilibre à l'ensemble de l'édifice.
  • les portes d'entrée du rez-de-chaussée esquissent une galerie sur rue tandis que les ouvertures du foyer au 1er prolongées par un balcon fortement architecturé font penser à une sorte de loggia s'ouvrant et dominant l'espace urbain extérieur.

A l'intérieur, un théâtre à l'italienne :
le dispositif intérieur est en effet conforme à ce qui est le modèle dominant des théâtres ou opéras lyriques en Europe:
  • un parterre dominé par trois niveaux de balcons
  • une scène encadrée par des loges d'honneur de part et d'autre, loges réservées aux notabilités locales ou invités de prestige.

un lieu où l'on se rend «pour voir et être vu» :
ce dispositif reflète la hiérarchie sociale de son temps, des loges d'honneur au «poulailler» (où nichent «les enfants du paradis» chers au cinéaste Marcel Carné)
Le caractère mondain de ce lieu de la sociabilité bourgeoise par excellence se remarque aussi par la place importante tenue par le foyer du 1er étage, prolongement direct de la salle de spectacle et par le hall d'accueil du rez-de-chaussée dont le riche décor (frises, stucs, statues de bronze...) reflète le goût moyen de la haute société de la fin du XIXème.

LES GRANDS HOTELS


Chaque ville importante se doit de posséder désormais au moins un hôtel de prestige, de type « palace », apte à accueillir une clientèle « haut de gamme », parfois à caractère international. Aux villes d'eaux, il faut ajouter dans les Hautes Pyrénées à la même époque la montée en puissance du tourisme religieux à Lourdes qui s'accompagne là-aussi de l'édification d'établissements hôteliers de prestige (hôtel de la Grotte puis le Moderne-Soubirous) ; ajoutons que le chef lieu du département, Tarbes, se devait également de posséder au moins un établissement de ce type : ce sera le Moderne, établi sur la place centrale du Maubourguet.
Le Grand Hôtel de Capvern reste plutôt sobre avec sa façade néo classique (1878, architecte Prosper)
Tandis qu'à Cauterets (Hôtels d'Angleterre et Continental, construits respectivement en 1878 et 1882, tous les deux œuvre du Palois Lucien Cottet) et Lourdes (Moderne-Soubirous, 1896, architecte Jean Marie Lacrampe) les fastes et fantaisies décoratives sont beaucoup plus présentes dans une veine néo baroque.
L'Hôtel Hélios à Barèges (1906) en impose surtout par son volume considérable et une modénature de pierre de taille très marquée sur ses deux façades Sud et Nord qui l'inscrit dans la tradition rustique des vallées des gaves.
Enfin le Moderne à Tarbes (1910, architecte Beylard) peut être rapproché d'une famille de grands hôtels qui voient le jour dans les années 1910, un peu influencés par l'esprit « Art nouveau » que l'on trouve aussi bien dans les villes d'eaux que le long des plages des « rivieras » (par exemple de l'architecte Edouard Niermans, auteur également du Négresco à Nice, le « Pyrénées Palace » à Luchon, très proche du Moderne).

VILLAS ET HOTELS PARTICULIERS


Dans le 1er volet de notre étude déjà publié (« une introduction à l'architecture moderne »), nous avons consacré une partie (in Chap III « Art Nouveau et Modern Style ») aux villas et castels d'inspiration Art Nouveau tels que la Villa Oustau à Aureilhan ; nous présentons donc ici celles qui sont principalement marquées par l'éclectisme ou l'historicisme. Cependant, la différence entre les deux est parfois ténue et tel édifice peut à la fois présenter une proximité avec l'historicisme tout en intégrant des éléments ou des « touches » modernistes.

  • Une première vague de construction de grandes villas s'était produite au milieu du XIXème et au cours du Second Empire, dans des espaces périurbains restés jusque-là très campagnards comme au Sud de Tarbes la Villa Fould ou le Château de Breteuil (Villa Bel Air) entourés de grand parcs paysagers ; de même, le goût pour un Moyen Age largement réinventé battant son plein, certains propriétaires se sont lancés dans la restauration ou le remodelage d'un vieux manoir médiéval ou Renaissance plus ou moins ruiné, ainsi le château d'Odos (remanié en 1852-1864) ou celui d'Urac à Bordères-sur-l'Echez.
  • La fin du siècle et le début du XXème voit s'installer une deuxième vague dans les nouveaux quartiers thermaux (Argelès, Bagnères) ou résidentiels (Lourdes, Tarbes) abritant la haute société urbaine, notamment les nouveaux riches (entrepreneurs, hôteliers, commerçants par exemple) dont l'ascension sociale se produit précisément dans ces dernières décennies du XIXème et jusqu'à la Guerre de 14 ; d'où sans doute la recherche d'effets ostentatoires, un peu « tape-à-l'oeil », dans le registre du « pittoresque », ou bien parfois de véritables pastiches des styles aristocratiques des siècles passés, de la Renaissance au Rococco. D'où aussi le choix des programmes constructifs, multipliant manoirs et « castels » qui constituent une sorte de déclinaison bourgeoise du château de la noblesse d'Ancien Régime ; en effet, ces vastes demeures, outre leur fonction de résidences confortables ou luxueuses, sont aussi un des lieux privilégiés de la vie mondaine ce qui explique l'importance de leur apparence extérieure et des pièces de réception.

  • Dans ce registre on peut citer comme exemples directement inspirés de la Renaissance ou du Grand Siècle :

à Lourdes
le Château de Soum, ancienne villa de l'hôtelier Jules Fourneau (archi : Jean Marie Lacrampe, vers 1900)
la Villa Roques, actuel Hôtel de Ville (archi : Jean Marie Lacrampe,vers 1900)
à Argelès-Gazost, la villa Isaby
à Cauterets , la villa du Docteur Flurin (inspirée du château de Pau, architecte Charles Durand de Bordeaux)
à Bagnères, la villa Henry située rue de la Fontaine Ferrugineuse
  • dans un registre plus pittoresque

A Tarbes,le Château Montagnan (longtemps siège administratif des PTT puis de la Poste, construit au début du siècle et qui appartint à l'industriel Gache dans les années 20)
le Château Rolland à Guchen (1904)
les villas Marie (style néo Tudor anglais) et Suzanne( style anglo-normand)à Argelès
les villas Gazagne et Rachel (1902) à Lourdes
Dans un registre résolument « exotique », nous ajoutons ici, pour conclure ce point, la gare d'arrivée du tramway du PCL à Cauterets ; montée en un mois en 1898 avec des matériaux de la maison Carde de Bordeaux, elle se présente comme un chalet nordique ou scandinave en pitchpin de bois ouvragé qui présente son meilleur aspect les jours où la station est enfouie sous un épais manteau neigeux (elle a récemment fait l'objet d'une restauration attentive qui lui a redonnée son caractère originel).

Photographies de Maurice MORGA
L'Architecture du XX siècle en Hautes-Pyrénées
VOLET N°2 : TRADITIONS ET MODERNITES
HISTORICISME, ECLECTISME : LES VILLES D'EAUX
Menu
Introduction
les villes d'eaux, hauts lieux de l'éclectisme
une architecture d'apparat
Développement
Galerie d'images
Travail de recherche
Maurice MORGA - Professeur retraité
Conception multimédia
Florent Lafabrie - CANOPE des Hautes-Pyrénées